Je sais que tu es dans la salle
Je sais que tu es dans la salle. Je sais que tu es venu. De loin. De si loin. De si loin, que si on va plus loin, on revient ! D’Australie, oui de Sydney. Tu dois être fatigué. Fatigué ! Epuisé même. Vingt deux heures d’avion ! Plus les escales. Soit trente heures de voyage, en tout. Tout ça pour venir me voir jouer ? Me voir jouer cette pièce ? Oui, je sais, je ne vais pas être modeste : elle est très connue cette pièce. Il paraît qu’on en parle jusqu’en Nouvelle Galle du sud, jusque chez toi. Mais, si tu es venu, cela ne doit quand même pas être uniquement pour cette comédie que je joue. Non ! J’espère bien que non !… Ça ne serait pas que tu aurais des remords ? Que tu voudrais te faire pardonner ?… Si j’en ai, moi aussi des remords ? Je ne sais plus ! Mais je pense que j’ai fait ce qu’il fallait. Je suis même sûr qu’en te retournant ta carte de vœux pour la nouvelle année, j’ai bien agi. Pour ton bien et le mien. Après ça, après cette coupure dans le vif de nos relations, tu ne pouvais plus m’accuser de tous tes problèmes. Je t’ai obligé à un face-à-face permanent avec « Elle ». Avec la femme que tu venais d’épouser. Cette furie !… Elle voulait, à toutes forces, te séparer de ta famille. Pour un peu, elle t’aurait convaincu de te faire kamikaze et exploser au milieu de nous ! Tu vois, j’ai bien fait. J’ai bien fait de t’envoyer au diable. Tu t’es rendu compte. Très vite. En six mois tu as divorcé. L’avocat, tu ne l’as pas trouvé par hasard, comme tu croyais. C’est moi qui te l’ai envoyé. Un des meilleurs de Paris. Tu ne me crois pas ? Tu n’as pas trouvé bizarre qu’il te demande si peu ? Non ? C’est que tu ne le connais pas le prix d’un bon avocat. C’est moi qui ai payé le complément des honoraires. Mais je ne regrette rien. Je ne regrette pas que tu sois parti aussi loin pour démarrer ta nouvelle vie. Il paraît que tu as rencontré une jeune femme, douce, charmante. Je suis ravi pour toi. Et ton travail ? Il te plaît beaucoup ? Tant mieux !
Viens me retrouver, après la pièce. Dans ma loge. Viens me retrouver après ces trois années terribles. Viens mon fils, viens embrasser ton vieux père qui fond d’amour pour toi.