Le muguet tricolore
<p class="font_8">Mince, c’est le premier mai. J’allais oublier ! Déjà l’année dernière, je n’y avais pas pensé. Elle m’en avait fait tout un fromage. C’est fou ce que ces filles de gauche sont pour le respect des traditions. Les traditions, c’est pas ce qu’il y a de plus bourgeois, non ? Je ne pensais pas à ça quand on s’est connu, lors d’une manif avec José Bové et les collègues de la sous-préfecture. Est-ce qu’il va en rester ? Après une toilette de chat, Daniel Petitpâtre se précipite dans la rue. Effectivement, il est déjà bien tard. Sur l’avenue de Paris, il ne reste que le souvenir des étals improvisés autant qu’éphémères des vendeurs de muguet. Seul le stand d’Europe Ecologie en impose encore par son sérieux. Mais où sont donc les camarades ? Parti déjeuner sans doute. Et moi qui ai rendez-vous à une heure avec Cécile. Elle va en faire une vraie jaunisse ! En désespoir de cause, Daniel s’aventure plus loin dans l’avenue, là où les commerces deviennent nettement moins nombreux. Miracle ! Une jeune marchande est toujours là. On dirait qu’elle a encore quelques brins à vendre. Mais qu’est-ce que c’est ? Elle porte une coiffe régionale et un drapeau français décore l’étal. Ca doit être le stand du Front National. Merde, moi, secrétaire des « Verts » de ma ville, acheter le muguet du premier mai à des fascistes ? Jamais de la vie ! Profondément perturbé, Daniel s’arrête, se gratte la tête, regarde sa montre. Vide ! Le reste de l’avenue est désespérément vide. Avec des pieds de plomb, il s’approche de la « paysanne » qui a déjà commencé à remballer les trois fois rien qu’elle expose. Dans votre parti à la con, savent-ils ce que le mot « écologie » veut dire ? La fille le regarde avec des yeux bovins. Oui, ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je parle français, non ? Toujours pas de réponse. Par exemple, votre muguet là, est-ce qu’il est « bio » ? Je sais bien que dans votre foutu parti, ça ne veut rien dire, le mot « bio ». Apprenez, que pour nous, c’est la notion la plus importante. Je n’achète que des produits bios, oui, pour sauver la planète. Est-ce le vent ? Il semble à Daniel que la coiffe condescend à effectuer un léger mouvement d’approbation. Mais l’absence de pesticides dans les cultures ne suffit pas. Votre muguet, est-il issu d’une agriculture « durable » ?… Je suppose qu’au FN, on ne vous parle pas de ces notions là. Bon sang, arrêter de traîner vos sabots et écoutez-moi bien. « Durable », ça veut dire que dans plusieurs siècles, au même endroit, on pourra cultiver le même muguet. Tu comprends ? En fait, « durable », c’est un peu comme « responsable ». Quoi que certains camarades ne seraient pas d’accord avec moi ; eux font clairement une distinction entre ces deux notions. Moi, j’avoue que je ne me suis pas encore fait de religion sur ce sujet. Ca n’a pas l’air de t’intéresser beaucoup ce que je te raconte ? Pour toute réponse la fille se remet à son travail d’emballage. Et équitable, naturellement, tu ne sais pas ce que c’est qu’une production agricole équitable. Ecoute-moi bien : ça veut dire que ton producteur de muguet, il peut vivre de sa culture, car on la lui achète à son vrai prix. Au fait ils sont à combien tes brins ?… Mince, mais c’est cher ! Ayant fini son travail et chargé ses affaires dans sa vielles guimbarde, la « paysanne » se saisit du drapeau qui avait été relevé par le vent. Elle en fixe les trois couleurs maintenant horizontales sur son tablier et salue Daniel d’un « Tot zienst, au revoir », venu du fond de sa gorge d’étudiante Erasmus hollandaise.</p>