Touché !
- Et à la fin de l’envoi, je… je…
L’hésitation du pauvre Cyrano fait pitié à entendre. Son épée qu’il brandissait fièrement pour frapper d’estoc, il la rapatrie vers son visage penaud.
- Je touche, Henri ! A la fin de l’envoi, je touche, c’est quand même pas difficile, non ? En tous les cas, ton cachet, si tu veux le toucher tu as intérêt à le travailler ton texte ! Je ne sais pas ce qu’il t’arrive, on dirait que tu nous commences un Alzheimer et pourtant tu es encore jeune pour ça.
Cyrano ne sais plus quelle contenance adopter. Il abaisse son arme et la laisse tomber mollement sur la scène.
- Je demande miséricorde Georges, c’est la première fois que j’ai un trou de ce genre.
- Un trou noir tu pourrais dire ! Allez, va répéter chez toi. On reprend demain à neuf heures. Christian, Roxane, restez encore un peu. Il faut qu’on avance, la première est dans trois semaines.
Dans la rue, sans son chapeau à panache et sa cape de velours grenat, Cyrano, vous ne le reconnaîtriez pas. J’oubliais, sans son grand nez non plus vu qu’il l’a déposé en sortant dans la loge de Roxane, juste pour lui faire une niche.
Il ne va pas rentrer si vite chez lui. Pourquoi ne pas répéter dans un café ? Au « Café des Artistes » ? Justement, il n’est pas trop loin. C’est l’heure de la sortie des bureaux. Pour ne rien arranger, il pleut. C’est vraiment pas son jour de chance. Un croquant le bouscule en passant. Henri fait mine de tirer son épée mais le malotru est déjà loin. Même pas le temps de le provoquer en duel. Il pense à prendre un taxi mais avec ce temps et cette foule, il se dit qu’ il a plus de chances de gagner l’amour de Roxane que de trouver un de ces carrosses de location. Cyrano ralentit le pas. Il repense à l’échec de sa tirade. Si seulement il avait mieux dormi ! Mais comment dormir avec cette Marie-couche-toi-là qui n’arrêtait pas de titiller ses sens. Elle sait s’y prendre avec les hommes cette catin : pas besoin de lui réciter des vers, à elle. D’ailleurs elle parle un français à peine digne de la cour des miracles. Non il faut absolument qu’il cesse de la fréquenter sinon, il ne donne pas cher de sa carrière d’acteur. Il a besoin de travailler au lieu de besogner des filles de rien. Il va y arriver, morbleu !
Ah, voilà le café. Il pousse la porte et s’installe à une table plutôt isolée, commande un petit noir bien serré et sort son texte.
- Et à la fin de l’envoi…
- Je touche.
Qui donc a l’audace de lui voler la fin de sa tirade ? C’est cette fausse blonde aux yeux charbonnés qu’il n’avait pas remarquée, tout à ses préoccupations. Tabernacle, elle est sacrément appétissante la drôlesse ! Les bonnes résolutions de Cyrano vont-elles s’envoler ?
- Mon beau Seigneur, si tu veux me toucher, c’est cent Euros. A propos, dans le métier on m’appelle Roxane. Roxie pour les intimes.